Little Richard, le Roi du Rock’nRoll

Little Richard, la légende du Rock’nRoll est décédé à l’âge de 87 ans. Des débuts tonitruants à la gloire, il restera le Roi du Rock’nRoll

Des débuts tonitruants

Troisième enfant d’une fratrie de douze, né dans une famille de la petite bourgeoisie du sud (grand-père et oncles sont prêcheurs, père tenancier de bouge et négociant en alcools forts), Richard Wayne Penniman est né le 5 décembre 1935 à Macon (Géorgie), ville natale d’Howard Tate et Randy Crawford, et qui verra, bien des années plus tard, s’épanouir l’archétype du rock sudiste, en la personne des Allman Brothers Band. Elève peu impliqué, Petit Richard est, à l’instar de tous les jeunes Noirs de l’époque, bercé par la religiosité du gospel. Il gagne ainsi ses premiers cents en offrant des aubades au porte-à-porte, puis s’initie au piano, puis intègre la chorale paroissiale. Il y acquit son premier surnom « The Warhawk » (le Faucon de guerre), allusion à son caractère bien trempé.

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Lorsque son père l’abandonne (bien plus tard, Little Richard assurera que c’était là la conséquence de l’aveu de son homosexualité), il est recueilli par une famille blanche, Ann et Johnny Johnson (qu’il immortalisera dans la chanson « Miss Ann »). La puberté aidant, il s’oriente vers les rives plus sensuelles du Rhythm ‘n’ Blues, et s’engage dans la troupe ambulante du Dr. Hudson, vendant au gré de pantomimes humoristiques, pommades et remèdes miracles à base d’huile de serpent à un public crédule. C’est là qu’il adopte définitivement le surnom qui le fera entrer avec fracas dans l’histoire…et développe son goût pour le travestissement, se produisant sur scène en robe à frou-frou. Après une victoire à un radio-crochet, Little » Richard fait la rencontre de Billy Wright qui le présente à RCA-Victor chez il enregistre ses premiers 45-tours en 1952, comprenant « Every Hour » et « Get Rich Quick ». L’année suivante, après une rencontre hollywoodienne avec Johnny Otis, il intègre The Temple Toppers (les bien nommés), et grave pour la firme Peacock des chansons, certes dynamiques, mais dénuées d’originalité, et très influencées par les maîtres du Jump Blues comme Roy Brown.

Son père est assassiné par balle devant l’établissement qu’il dirige, ce qui le contraint à faire bouillir la marmite (il enchaîne les petits métiers) pour toute la famille. En 1955, la première rencontre d’importance s’opère avec Lloyd Price, star absolue du genre, et immortel créateur de « Lawdy Miss Clawdy ». Ce dernier convainc Penniman, alors serveur dans un restaurant Greyhound de Macon, d’adresser à Specialty Records une maquette, qui, après dix mois d’attente, séduit le label, suffisamment en tout état de cause pour qu’une séance soit planifiée.

En route pour la gloire

Le directeur artistique Robert « Bumps » Blackwell débarque à la Nouvelle-Orléans en compagnie de Penniman. La séance d’enregistrement se déroule de manière sinon ennuyeuse, tout du moins assez convenue, dans un registre banalisé de Rhythm ‘n’ Blues de consommation courante, jusqu’à l’une de ces pauses qui construisent la légende du rock. Little Richard fait le zouave, débite des obscénités, frappe hystériquement son clavier, et pose les bases de son style : des exclamations extatiques, un chant à la limite de l’apoplexie, une rythmique de plomb, un saxophone hurleur. Légèrement édulcorées, les paroles de « Tutti Frutti » (Awopbopaloobop-alopbamboom : sans doute l’une des chansons aux paroles les plus absconses de l’histoire du rock, et, donc, terriblement suggestives) permettent à Penniman de connaître son premier succès (sorti en décembre 1955, n°17 avec un million d’exemplaires vendus en quelques semaines), et au fade – et blanc – Pat Boone de débuter son braquage sur les créations des artistes noirs. Quelque temps plus tard, il s’attaquera tout aussi piteusement à « Long Tall Sally », deuxième hit de Richard, classé n° 6 en mai 56 avec « Slippin’ And Slidin’ » en face B. Fait exceptionnel, et malgré la paillardise induite des paroles, le disque se classe dans les meilleures ventes, à la fois des disques Rhythm ‘n’ Blues et des enregistrements Pop.

Entre 1956 et 1957, Little Richard édifie sa renommée pour l’éternité, et, accessoirement, enregistre quelques standards absolus du rock. Quelques centaines de jours pour changer la face du monde, tout du moins sa musique, et s’inscrire de façon durable dans sa course : « Rip It Up » (juillet – repris plus tard par rien moins que Bill Haley, Elvis Presley et Cliff Richard), « The Girl Can’t Help It » (février 57, avec l’apparition tonitruante du maître en personne dans le film du même nom), le fameux « Lucille » (juin), « Jenny, Jenny» (août) puis « Keep A-Knockin’ » et « Good Golly, Miss Molly » (édités par Specialty que durant sa première retraite religieuse) constituent autant de hits certes, mais également de réussites artistiques. Car Richard a très vite choisi de fidéliser à ses côtés les meilleurs musiciens de la Nouvelle-Orléans : Lee Allen et son saxophone ténor, le baryton d’Alvin « Red » Tyler, les guitares de Justin Adams et Edgar Blanchard, Huey « Piano » Smith au piano, en alternance avec Melvin Dowden et James Booker, le bassiste Frank Fields, et, au-dessus de tout, la batterie en pyrotechnie d’Earl Palmer, participeront de façon déterminante à l’élaboration du son du petit chanteur…qui n’éprouvera aucun scrupule à les débaucher de l’orchestre de Fats Domino !

Parallèlement, Little Richard multiplie les apparitions à l’écran, allant jusqu’à incarner le dieu Pan dans Don’t Knock The Rock. Little Richard est sexy, provocateur dans ses prestations scéniques, outrageant dans l’affirmation de sa sexualité, et son goût pour la mixité raciale : un repoussoir évident pour les générations les plus âgées, mais un authentique séducteur pour les adolescents. Durant les concerts, les jeunes filles extatiques jettent à la star leurs petites culottes. Il les remercie par des petits cris effarouchés et des mimiques explicites. Il entraîne son groupe – les Upsetters – dans un délire sonique, martelant le clavier, le maquillage en bataille, dans une hystérie proche de la transe. Le public ne résiste pas à cette tornade, victime consentante de celui qui leur offre la ferveur du gospel, mais la transforme en fièvre sensuelle.

Le premier effet qui secoue

C’est donc en octobre de l’an 1957, en pleine gloire et corne d’abondance, que Little Richard décide de quitter une tournée australienne en compagnie de Gene Vincent et Eddie Cochran (après un rêve de damnation éternelle et d’Apocalypse, de boules de feu et…de réacteur d’avion en flammes), jette ses bijoux dans le port de Sydney (non sans préciser à la presse que leur valeur s’élevait à 20.000 dollars), et s’enfuit. Certains de ses proches, évangélistes, ne sont certainement pas étrangers à cette conversion. Mais on peut également penser que les pressions de l’ordre moral de l’establishment blanc, alors présidé par Eisenhower, et…la menace d’un redressement fiscal, concourent à cette décision. Il rentre dans son pays (Dieu lui ayant ordonné d’abandonner le rock ’n’ roll), offre un ultime show à l’Apollo de Harlem, et se sépare de ses Cadillac, ce afin d’intégrer une école religieuse et d’étudier la théologie à l’Oakwood College de Huntsville (Alabama).

Specialty tente d’atténuer le choc dans le cœur des fans en commercialisant quelques inédits de séances d’enregistrement. Ainsi, «Keep A-Knockin’ », simple captation d’une émission de radio, et qui, étiré jusqu’au minutage réglementaire, impressionnera durablement Led Zeppelin, en particulier pour les premières mesures de leur hymne « Rock & Roll ». Mais, lorsque Little Richard (désormais pasteur de l’église adventiste du Septième Jour) retrouve le chemin des studios, c’est, au tout début des années soixante, et pour le compte de labels spécialisés dans le genre (Little Star, End), comme chanteur religieux. Il enregistre en duo avec Sister Rosetta Tharpe, et un album entier en compagnie de Count Basie. Il grave un autre recueil de Gospel en collaboration avec le producteur Quincy Jones.

Néanmoins, 1962 revoit Penniman sauter à pieds joints dans le Rock ’n’ Roll circus, avec une tournée britannique, au cours de laquelle il adoube Rolling Stones et autres Beatles (il aura sur Paul McCartney, et par l’intermédiaire du manager Brian Epstein, une durable influence, et les Beatles reprendront « Long Tall Sally » en 1964, en une version époustouflante et définitive). Curieusement, cette série de concerts commence dramatiquement, Richard et son organiste Billy Preston, se font huer par des audiences frustrées de l’entendre uniquement dans un répertoire religieux, et il décide alors de remettre les pendules à l’heure, et le rock au devant de scène. La ferveur que l’Américain relève chez tous ces jeunes groupes britanniques l’incite à poursuivre dans la veine du come-back, et il retrouve les studios de Specialty pour un nouveau succès (« Bama Lama Bama Loo » au printemps 64, en fait bien plus triomphal en Europe que dans son propre pays), et d’autres chansons dans la droite ligne de ses compositions antérieures. Mais le goût du public, les aspirations de la jeunesse, et, partant, de la société, ont considérablement évolué : Little Richard s’épuise une décennie durant en de frustrantes tournées d’éternel retour, et enregistrements peu rémunérateurs, où il aura néanmoins l’occasion de croiser la crème des musiciens du label Stax de Memphis, son idole de toujours Larry Williams, Don and Dewey, Don Covay, Johnny « Guitar » Watson, ainsi que Jimi Hendrix (qui fera brièvement partie de son groupe, sous le nom de Maurice James).

Le deuxième effet qui dure

Little Richard s’enfonce progressivement dans la drogue et l’alcool, perd tragiquement son frère, compagnon de débauche, en 1976, et ne se consacre plus qu’à la vente de bibles au porte-à-porte. Mais la nostalgie étant toujours ce qu’elle est, c’est grâce à cette mélancolie du temps qui passe que Little Richard assiéra définitivement sa légende. Il triomphe en Europe, et dans son pays, perturbant lors du festival de Toronto la prestation de John Lennon en signant des autographes…durant le concert de ce dernier ! Il revendique désormais le double titre de King/Queen of Rock ‘n’ Roll, se produit sur scène, juché sur un trône et au milieu d’un pandémonium de dix-sept musiciens.

Cette mode revivaliste, au bénéfice des pionniers du rock, et qui connaîtra force et vigueur toutes les années soixante-dix durant, lui permettra de s’assurer un troisième temps de carrière tout à fait digne : un hit modeste (« Freedom Blues » en juin 1970), une extravagance désormais assumée (bien davantage que celle de son pâle alter-ego Esquerita, qui aura au moins eu le mérite de lui inculquer ses premiers rudiments de piano, Little Richard reste, tout mascara et vertigineuse perruque dehors, l’absolue et flamboyante diva du rock), de percutantes apparitions à la télévision américaine, et un rôle baroque dans le film Down and Out in Beverly Hills (Le Clochard de Beverly Hills, et « Great Gosh a-Mighty », nouveau tube extrait de la bande originale) le consacrent comme une icône définitive de l’art populaire.

Elvis Presley et les Beatles l’ont chanté (« Long Tall Sally » fut la dernière chanson du dernier concert de la dernière tournée des enfants de Liverpool en Amérique), car il fut l’archétype du rock, juvénile, outrancier et impétueux. Paul McCartney (« I’m Down ») et Creedence Clearwater Revival (« Travelin’ Band ») l’ont affectueusement plagié, comme un salut respectueux à un grand frère. Litttle Richard osa l’ambiguïté sexuelle bien avant David Bowie. Après avoir collaboré avec rien moins que Canned Heat, Jefferson Airplane, ou les Beach Boys, enregistré un album de duos en compagnie d’Elton John, celui dont dix-huit des quarante-cinq tours ont dépassé le million d’exemplaires, s’est désormais reconverti au télé-évangélisme. Il apparaît dans un épisode des aventures du Lieutenant Columbo (Peter Falk), enregistre un album pour le compte de Disney (Shake It All About, son dernier en 1992), et tempère ses déclarations misogynes et homophobes (sic) par une nouvelle conversion au judaïsme.

Et comme il a le bon goût d’alterner ses séjours dans le monde vulgaire, et ses retraites religieuses, un permanent va-et-vient entre le Révérend Penniman-Docteur Jekyll et Little Richard-Mister Hyde, son déchirement mystique, sa dualité assumée, en font l’une des personnalités les plus attachantes de la musique populaire américaine, et de Richard le Petit le plus fidèle serviteur du dieu Rock ‘n’ Roll.

Christian Larrède

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