Gigantesque et féerique, tel fut le concert des 40 ans du groupe Indochine mené de main de maître par son charismatique leader Nicola Sirkis. Ce fut une véritable marée humaine qui a déferlé sur le stade de France ce samedi 21 mai.
Cette date, les fans d’ Indochine l’attendaient depuis si longtemps que d’enfin voir leur groupe sur scène leur paraissait soudain presque surnaturel. Nicola leur avait concocté une setlist à l’image même de l’ histoire d’Indochine, un savoureux mélange des titres les plus marquants toutes époque confondues. Nous avions l’habitude des scénographies démesurées et inattendues avec Indochine, mais cette fois le héros de tous les temps comme l’appellent parfois avec tendresse ses fans, s’était surpassé!
Un écran géant de 2500 mètres carrés posé sur une gigantesque tour d’acier de 258 tonnes et de 45 mètres de hauteur qui était justement placée au centre du stade et dont la disposition a donné son nom à cette tournée des 40 ans fêtée à la 41 année pour cause de Covid. C’était l’unique décor, mais c’est de là que tout partait rappelant d’une certaine façon la soucoupe de la dernière tournée qui en avait ébahi plus d ‘un, transformée cette fois ci en fusée.
Sur cet écran nouvelle génération, Nicola Sirkis a fait défiler 40 ans d’histoire et d ‘histoire d’ Indochine pour finir avec un cri du cœur en affichant un immense drapeau de l’Ukraine.
C’est vrai que l’Ukraine est sur toutes les bouches mais Nicola Sirkis n’oubliait certainement pas ce soir-là ses origines Moldaves qui semblaient couler encore plus fort dans ses veines.
Des moments d’émotions, il y en eut certes, comme à chaque concert de ce groupe devenu mythique.
L’émotion, celle qui vous transperce l’âme, vous noue la gorge et viole vos secrets les plus cachés ,étant l’ ADN de ce groupe.
Fidèle à ses combats, Nicola évoqua avec beaucoup de respect et pudeur le thème du harcèlement scolaire, son cheval de bataille, en faisant apparaître sur l’écran géant les témoignages pêle-mêle de fans du groupe ayant subi ce harcèlement avant de lancer leur titre « Collège Boy » sur les images très trash du réalisateur canadien Xavier Dolan.
Il est vrai que lorsque j’ai su qu’ Indochine avait lancé l’appel sur les réseaux sociaux aux fans pour réaliser une petite vidéo sur ce qu’ ils ou elles subissaient ou avaient subi, ma réaction fut plutôt violente.
On n’expose pas ainsi la misère des gens aux yeux de tous, surtout pour un concert, mais le résultat me bluffa, les confidences se transformant peu à peu en un brouhaha indescriptible mais poignant parce que derrière cela on pouvait deviner la souffrance de chacun.
La voix grave de Nicola jointe pour ce titre à la voix cristalline du contre-ténor. Philippe Jarousky s’ harmonisaient parfaitement, pourtant j’avais détesté leur duo lors de l’ opération des pièces jaunes.
Près de moi une jeune fan en larmes s’effondrait dans mes bras.
Une fois de Plus Nicola avait su mettre le doigt là où ça fait mal.
Je remarquai cependant que pour la première fois depuis des années la galaxie des fans d’Indochine n’avait pas préparé comme à l’accoutumée une surprise pour leur idole et qu’il manquait au premier rang de la fosse certainement un des plus fidèles. Nicola a dû le chercher du regard!
C’était lui l’organisateur de décennies de surprises organisées pour le groupe, sans sa présence, à sa place même, celle qu’il a toujours occupée, il me semblait soudain qu’ il manquait une cellule de l’ âme indochinoise, celle qui entraînait avec lui des tas d’autres cellules pour former l’âme d’ Indochine et même si sa place était désormais prise, sa gentillesse, sa joie de vivre et sa présence marqueront à jamais l’ histoire des fans de ce groupe là et s’inscrira en grand dans la mémoire du groupe, lui à qui tant de fois Nicola a serré la main.
Pour une fois, pendant ce concert, Nicola laissa pleinement la place à sa musique, aucun discours ne mettant à nu ses idées ou son franc-parler, ni aucun doigt levé, simplement celui de la joie de retrouver son public et une minute de bruit pour tous ceux qui avaient été les leviers de nos propres vies, le personnel soignant et toute autre profession qui nous avaient aidée à vivre pendant cette longue période où le monde entier était sous cloche à cause d’un virus.
Et puis une minute de bruit pour l’Ukraine.
« Faites une minute de bruit pour tous les ukrainiens »
déclara tout simplement Nicola Sirkis en bas de la scène où il était projeté sur le grand écran, seul le public de la fosse pouvait le voir véritablement et parfois mal comme dans un vrai concert pour tout le reste du stade ils étaient tous à hauteur de fourmis comme de véritables playmobils du rock.
La fosse, le noyau dur des fans d’ Indochine semblait respirer à nouveau leur dieu, ayant brisé les chaînes qui les retenaient loin de lui.
Ils étaient tous là, leurs visages mêlés de larmes et de sourires, leurs yeux écarquillés comme s’ils avaient vu un ange sur terre, s’affichant avec bonheur sur grand écran, beaucoup avaient campé aux portes du stade depuis deux jours, rien que pour être les premiers et avoir ce qu’ ils appellent « la barrière ». « Ma barrière », disent-ils en renouant ainsi avec cette coutume depuis “Paradize”, puisque Nicola faisait monter certains fans, filles et garçons, au premier rang sur scène l’espace d ‘une chanson, de quoi leurs offrir un rêve éveillé puisqu’ il les prenaient dans ses bras.
Vous ne pouvez pas imaginer ce que cette pratique a pu faire couler de larmes de bonheur, mais aussi de désespoir, de rage ou de tristesse de ne pas avoir été choisie ou choisi et de drames dans le clan des fans prêts à tout pour un seul regard de leur idole, la nature humaine se révélait à ces moments-là quoi qu’il en soit aujourd’hui les plus accrochés à Nicola et au groupe continuent de s’enfermer dans leur univers, leur bulle indochinoise pour vivre ensemble et à fond tout un chapelet d’émotions émergées du célèbre son d’Indochine.
Comme lors de son anniversaire au Stade Pierre Mauroy trois
ans auparavant, Nicola Sirkis avait invité la garde républicaine pour partager quelques titres sur scène avec eux.
« Mesdames Messieurs la Garde Républicaine », annonçait-il avec admiration et une certaine fierté de gosse.
Comme lors de ce concert pétri d’émotions qui allaient bien au-delà d’un concert de rock, le fidèle Dimitri, seul membre originel du groupe avec Nicola Sirkis, joua de son saxo et Lou Sirkis qui s’était produite la veille à la Maroquinerie avec son groupe Toybloid, incarnait sobrement la mémoire de son père, vêtue dans un élégant costume blanc.
En se joignant à eux, elle faisait revivre pour quelques instants les débuts du groupe puisqu’ils avaient tous choisi leur toute première chanson “Dizzidence Politik ”.
Une pensée émue et discrète aussi pour Stéphane Sirkis, frère du leader disparu le 27 février 1999, présent par intermittence sur le grand écran lorsque Nicola chanta “Atomic Sky ”mais aussi dans sa voix voilée d’émotion où planait le visage du premier guitariste du groupe son frère jumeau, l’autre morceau de son cœur lorsqu’ il déclara :
« Une pensée pour tous nos disparus »
L’interprétation de « 3 ème sexe“ devenue « 3 sex » avec Christine and The Queens était plus que tonique et échevelée, les mains des deux chanteurs filmées en noir et blanc qui se rejoignaient sur grand écran me firent néanmoins une sensation de déjà vu dans d’autres concerts du groupe mais la beauté de l’ image perdurait cependant.
Vêtue d ‘un costume cravate, la remuante Christine and the Queens, Heloise le Thessier de son vrai nom, a fait danser le stade de France.
Nicola quant à lui, a réussi l’exploit de faire chanter la Marseillaise à 98 mille personnes en préambule de son titre « un été français ».
Si le show était démesuré, l’ego de la star qu’il est devenu était à peine perceptible au contraire des derniers shows où il se mettait les bras en croix sous une douche de lumière, véritable christ vivant du rock pour ses fans les plus assidus de plus en plus avides et assoiffés de ses paroles.
Certes Nicola ne manqua pas de rendre hommage à ses deux plus grands maîtres David Bowie et Marguerite Duras, en projetant le visage de Marguerite Duras sur l’écran et en massacrant quelque peu, un titre de son idole, David Bowie
Pour les fans d’Indochine ,Duras et Bowie font depuis longtemps partie intégrante de la légende indochinoise.
Certains ont découvert les écrits de Duras après avoir écouté les paroles de certaines chansons d’ Indochine, principalement “3 nuits par semaine” inspirées directement de « l’amant », roman polémique de l’écrivain.
Question humour, Nicola Sirkis a su le démontrer ainsi que son goût pour la fiction, en inventant un faux journal télévisé au scénario catastrophe annoncé le plus sérieusement du monde par le journaliste de télévision Laurent Delahousse qui fit son effet.
Un véritable plongeon dans un futur de science-fiction qui prédisait une véritable apocalypse.
En vrac: des ombres chinoises lumineuses qui toutes représentaient les 13 albums d’Indochine,( le quatorzième est en chemin) et les tournées emblématiques du groupe.
Des pluies de confettis et de serpentins pour célébrer à sa juste mesure cette célébration tant attendue faisait de ce show un sans-faute.
28 chansons pendant deux heures quarante-cinq pour faire vibrer 98 mille personnes, le record battu d’audiences depuis la création du Stade de France, tous évènements confondus.
28 titres qui ont fait lever les bras et remplir les cœurs d’émotion et de joie.
Une apothéose à la mesure du charisme de l’idole avec un superbe feu d’artifice qui sortait de la tour où l’écran immense était fixé et qui explosait en une pluie d’étoiles dans ce ciel de printemps doux et calme, tout était là pour que la magie fonctionne.
Ce feu d’artifice je l’ai surtout vu dans les yeux émerveillés, écarquillés comme une soucoupe, de ma petite fille de sept ans qui vivait à mes côtés son premier concert dit “ de grandes personnes ”.
J ‘ai vu ses rires, sa bouche s ‘ouvrir d’ étonnement, je l’ai vu danser et chanter même si elle ne connaissait que certaines chansons, les plus connues du groupe. Je l’ai vu frapper des mains, j’ai vu sa joie et son admiration en voyant la multitude d’ effets spéciaux de ce concert digne d’ un film de Spielberg avec l’apparition sur écran du lézard des Tzars.
« Quand est ce qu’il va chanter, ma chanson mamie ? »
Me disait-elle impatiente.
Et sa chanson c’était “3 sex ”qu’ ‘elle a rebaptisée “On se prend la main ”.
Encore une preuve qu’ Indochine est d’ hier et d’aujourd hui et que ce groupe continue de réunir toutes les générations confondues.
Oui, Nicola Sirkis a, ce samedi, ouvert les portes de la joie à 98 mille personnes, tous sont repartis avec des fragments d’étoiles dans les yeux, tous on fait partie cette nuit-là de la légende du plus grand groupe de Rock français. Cependant avec une telle scénographie je regrette qu’ il y eut moins d’ intersections avec ses fans, il manquait ce courant émotionnel qui est le ciment du groupe depuis plus de 40 ans.
Nicola ne pouvait plus chercher secours sur les lèvres de ses fans lorsqu’il s’emmêlait dans les textes de ses titres comme il y était habitué et quand vint le moment tant attendu où il devait descendre dans la fosse sur le mythique « tes yeux noirs « , il se contenta de passer devant quelques barrières et de serrer quelques mains, ce qui fut bien peu, si on considère ses concerts précédents où il plongeait littéralement parmi ses fans, mais il est vrai que depuis la pandémie était venue telle une sorcière obscurcir l’univers culturel des concerts.
Quoi qu’on en dise, le concert du Stade de France à ouvert ainsi en triomphe la tournée “Central Tour ” qui ira irriguer de sa dynamique si spéciale et de toute son émotion, les stades de Bordeaux, Marseille, Lyon et se clôturera en juillet à Lille.
Mais Indochine, c’est comme un panier de cerises, c’est gourmand et gourmet sucré et acide, on en prend une et on finit le panier sans que même on s’en aperçoive !
Et puis à la fin du concert Nicola Sirkis avait fait paraître sur l’écran, au moment même où toute cette masse humaine rejoignait la sortie :
« Merci, rendez-vous en 2033 »
Un gage de bonheur presque éternel car à cette date-là il aura soixante-treize ans, mais c’est bien connu un Rocker ne vieilli jamais !
A signaler qu’aux alentours du Stade les restaurateurs étaient tous débordés, n’ayant pas prévu une telle affluence de clientèle même s ‘ils étaient rompus à la tâche d’accueillir le public qui va au Stade de France, ce soir-là, c’était du jamais vu.
Quant aux fans d’Indochine qui n’ avaient pas pu être présent, ils vivaient le concert via les réseaux sociaux mais pas toujours en direct, la connection Wi-Fi du stade certainement du fait du nombre impressionnant de personnes connectées à elle était terriblement mauvaise voir pratiquement inexistante.
Les autres fans rongeaient leur frein dans une hâte jubilatoire d’aller bientôt eux aussi vibrer au prochain concert de cette tournée qui s’ouvrait comme une rose qui n’était pas pour Salinger.
Petit hic cependant, le stand d’Indochine officiel dans l’enceinte du stade où un monde considérable s’était agglutiné comme des abeilles sur un pot de miel mal fermé, annonçait sur une feuille collée à la devanture, qu ‘il ne prenait que les cartes bancaires, ce qui réduisait beaucoup le plaisir pour certains d’acheter un petit souvenir de cette soirée mémorable et pour couronner le tout, le choix n’était vraiment pas à la hauteur de l’évènement.
La tenue de Nicola quant à elle suscita aussi beaucoup de questions et spéculations, certains avançant qu’ il portait un gilet pare-balles.
Je m’amusait de cette nouvelle invention et appelait deux jours plus tard une des attachées de presse de la maison Balmain qui me confirma bien que Olivier Rousteing avait habillé Nicola pour ce grand évènement.
Ah, la planète des fans d’indo faites de rêves et parfois si immature mais tellement attachante et qui est tout simplement la fameuse âme
d’Indochine dont Nicola n’a jamais cessé de déclarer depuis plus de quarante ans, qu’ Indochine a une âme qui ne cessera jamais de briller, me surprendra toujours.
Tard dans la nuit ou au plutôt tôt à l’ aube, 3H30, les comptes Instagram et Twitter de Nicola postaient un grand merci de la part de Nicola :
» Merci 98 000 fois le rêve est devenu réalité «
Un rêve qui dure depuis 41 ans et qu’ il ne cesse de réinventer, un rêve cousu de larmes de douleur et de tristesse aussi avec la disparition de son frère jumeau, l’ éclatement du groupe et la reconstruction puis la renaissance du groupe, un rêve infini qui semble par ses mains être devenu éternel et qui suit le cours de sa vie en s’immiscant dans la nôtre.
En fait pour citer une phrase de chanson célèbre :
On a tous un peu en nous… Non pas de Tennessee mais d’Indochine.
Helena Mora
Photos : Sarah Parlanti, S.Piat et Andie.V