Il était une fois un pays endormi sous la piqûre mortelle de la sorcière Covid 19.
Un après-midi des derniers jours de mai, un groupe de cinq musiciens mené par le Petit Prince du Rock monta sur une des plus grandes scènes parisiennes l’Accord Arena Bercy et brisa la malédiction, redonnant ainsi de l’espoir à une véritable marée humaine agglutinée comme un essaim d’abeilles à ses pieds chantant et dansant comme si soudain on avait brisé ses chaînes.
C’était l’éclosion d’une rose magnifique aux milles couleurs mise sous cloche depuis plus d’un an comme celle du conte de Jeanne-Marie Leprince de Beaumon en 1756 dans « la belle et la bête ».
Une rose au doux nom de culture et liberté.
Une rose qui peu à peu perdait ses pétales, privée du soleil et de l’eau qu’était le public.
Sans public, la rose se fanait, sans l’odeur de cette rose, le public se laissait glisser lentement vers la mélancolie.
Il y avait le temps d’avant et le temps d’après et pour tous ceux qui avaient la chance immense d’être là, c’était le moment historique où la rose allait enfin se vêtir de sa plus belle robe de pétales aux couleurs de l’espérance.
Le Petit Prince du Rock enfin sur cette scène qui lui avait tant manquée était rayonnant dans son émouvante sincérité.
Une setlist qui retraçait avec des titres désormais mythiques la carrière du groupe emblématique, des titres dont le public semblait s’enivrer comme s’il s’était agit de boire jusqu’à la lie cet élixir d’amour, non pas celui de l’italien Donnezetti mais celui du français Nicola Sirkis. Cet amour qui unit depuis presque 40 ans un artiste d’un charisme fou presqu’un dieu vivant aux yeux de ses fans et son public irremplaçable.
Voilà comment j’aurais pu raconter le premier concert test français, le premier concert après Covid.
Un écran géant pour tout décor derrière Nicola Sirkis qui ce soir-là méritait plus que jamais le surnom de « héros de tous les temps », suffisait amplement pour donner le frisson, nul besoin d’accrocher des écrans au plafond comme pour leur dernière tournée, la tournée 13.
Ce qui était palpable c’était surtout cette envie folle d’être ensemble sans cette distanciation sociale même si le masque qui barrait le visage de chacun leur rappelait encore que la Covid n’avait pas encore été vaincue complètement.
Mais qu’importe, ils et elles avaient accepté d’être les cobayes de cette grande expérience scientifique Ambition Live Again menée par le PRODISS et les hôpitaux de Paris, une expérience dont les résultats seront peut-être, une porte ouverte vers la liberté. Espérons qu’après ce concert, tous joueront le jeu et enverront leur salive par la Poste aux hôpitaux de Paris pour être testée, respectant ainsi le deal jusqu’au bout.
Nicola Sirkis, quant à lui, ne s’était pas trompé, il connait si bien ses fans, il savait qu’ils et elles seraient prêts à tout subir, même les feux dévorant de l’enfer pour le retrouver sur scène.
« Aujourd’hui, 29 mai 2021, nous aurions dû jouer au Stade de Bordeaux mais ce n’est pas grave, la vie est belle » rappela-t-il d’emblée.
Ce jour là , il a balayé les derniers concerts où il se retrouvait devant le vide d’une salle parsemée ici et là de quelques journalistes, personnels de radio et heureux gagnants d’un tirage au sort et, auquel l’écho du manque de son public, sa sève, son ADN, lui répondait douloureusement.
Ce soir-là, il renaissait et cessait d’être comme cette année écoulée un éternel adolescent gauche et maladroit sans sa tribu comme peuvent l’être les ados perdus, retirés de leur bande de potes face au monde qui les jugent.
Solidaire et humain, Nicola avait voulu rendre hommage au personnel soignant, aux chercheurs, aux médecins et aux disparus emportés par la vague déferlante de la Covid 19.
Un hommage à la Nicola Sirkis : « Une minute de bruit pour tous les soignants, les médecins, les chercheurs, pour tous les disparus. » demanda-t-il à son public.
Dans la salle les ministres Roselyne Bachelot, Olivier Veran et le maire de Paris Anne Hidalgo semblaient avoir retrouvé leurs dix sept ans et comme l’écrivait au début de ce siècle Arthur Rimbaud : « On n’est pas sérieux quand on a dix sept ans ».
Le Président de la République, Emmanuel Macron, qui avait pourtant agencé ce rendez-vous primordial pour le bien de la Nation, retenu en Afrique , manquait à l’appel mais qu’importe dans la fosse, le cœur d’Indochine ne cessait de battre la chamade et de briller aux yeux du monde entier.
Rempli d’un espoir nouveau, Nicola Sirkis déclarait en s’adressant à ce public qui ce soir-là faisait l’histoire : « Nous allons peut être sauver le monde ».
Il était les voiles gonflées du vent de l’espoir qui faisait avancer le voilier de la science contre un virus qui terrassait le monde et il était aussi synonyme du goût d’un monde nouveau où sa musique pourrait encore remplir d’émotion et de joie les éternels adolescents que nous sommes tous restés au fond de nous.
Mieux que le baiser du prince charmant, Nicola et son groupe insubmersible venait de réveiller la belle endormie, la vie, l’envie de faire la fête, d’être unis et de partager avec les autres nos belles émotions.
Il rappela cependant avec pudeur l’effet désastreux du confinement sur les enfants victimes de harcèlement scolaire, son cheval de bataille « Pendant tous ces confinements, le harcèlement sexuel, le harcèlement scolaire, le harcèlement sur Internet a continué. Merci de votre tolérance. »
En première partie du show de presque deux heures, si peu pour Indochine qui a l’habitude de jouer presque trois heures, le DJ. Antoine de Crécy sur ses platines électro avait ouvert le bal lançant ainsi comme un appel au monde d’après.
Quelques heures auparavant, le leader d’Indochine déclarait dans la presse « Nous allons jouer ce soir, espérons que ce ne sera pas l’orchestre du Titanic. »
Loin de là, les passagers de ce voyage n’embarquèrent pas sur le triste navire mais sur un navire flambant neuf qui les déposa sur une rive verdoyante, celle de l’espoir retrouvé et l’orchestre n’avait pas besoin de jouer « Plus près de toi mon dieu » puisque leur leader demandait déjà « A la lune » et que tous avaient la tête dans les étoiles.
Pourtant le rêve a un coût faramineux, 1,4 millions d’euros mais il en valait la peine car valsait dans les yeux de chaque personne présente à cette grande messe laïque, une petite flamme nouvelle que même les perles de larmes qui ruisselaient comme la rosée du matin sur le visage de certains et certaines, ne pouvait éteindre.
c’était cette émotion-là que les caméras dites intelligentes pouvaient alors capter.
Oui Indochine a bien une âme et ils l’ont encore prouvé ce soir.
Pour le groupe, outre la fierté d’avoir été par leur participation le fer de lance de l’expérience sanitaire la plus attendue, ce fut aussi pour eux un galop d’essai pour leur tournée reportée en 2022.
Pour leur public, ce fut surtout une respiration comme si on enlevait soudain une chape de plomb qui leur oppressait la poitrine l’empêchant de respirer.
Pour le monde entier ce fut un vrai cri de ralliement. Cela paraissait irréel, ils l’ont fait.
Pour la science, ce fut un appel à sortir comme le chantait Nicola lui-même « de la vallée infernale ».
Quant à la presse toujours avide de sensations nouvelles, c’était le groupe mythique du premier concert debout français de l’après Covid et pour Nicola Sirkis l’ex-cancre mal, si mal à l’aise jadis dans sa pension d’Estampuis , c’était enfin l’occasion de s’inscrire en lettres de feu, celui de la passion, dans les manuels d’histoire et de faire mentir son ancien prof de math et physique chimie, Bernard Hespel qui me confiait
« Il n’était pas très concerné par ses études, c’était un garçon tranquille sans histoire. Je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse avoir une telle carrière je suis agréablement surpris ».
Je suis sûre qu’hier soir ne pouvant échapper certainement à la machine médiatique mise en place pour ce concert historique sur toutes les chaînes de télévision, son vieux professeur a dû être très fier de son ancien élève et là-haut Stéphane Sirkis, le frère jumeau de Nicola, disparu le 27 février 1999, même s’il n’était plus là physiquement, était bien vivant au sein de l’âme indochinoise.
Fin juin les premiers résultats de cette expérience magistrale seront dévoilés et les résultats définitifs suivront.
Ce sera alors les premiers balbutiements d’une nouvelle vie qui va éclore pleine de musique et d’émotions nouvelles, une vie que l’on n’attendait plus mais que l’on espérait tous encore de toutes nos forces.
Dans la nuit, Nicola Sirkis remerciait sur ses réseaux sociaux avec l’élégance qui lui est coutumière, pas celle de la bonne éducation, mais celle du cœur, les 20 000 personnes qui s’étaient portées candidates à l’expérience et qui n’avaient pas toutes été retenues, les 200 000 connectées, les 5000 élues ce jour là dans la salle et qui avaient dansé comme un papillon dans le soleil des projecteurs, les 2500 sélectionnés qui ont participé de chez eux au test
C’est peut-être cela aussi la magie d’Indochine . A présent, la balle est désormais dans le camp de la science et tous ceux qui vont reprendre le chemin de la scène comme on reprend le chemin des écoliers après ce jour-là qu’ils gardent en mémoire que c’est grâce au groupe Indochine aimé et décrié depuis 40 ans et à la volonté d’un seul homme, Nicola Sirkis que l’impossible fut possible et qu’au lieu d’ajouter au budget déjà colossal, ils ont offert leur prestation à la science, Nicola ayant même ajouté 35 000 euros pour compléter les exigences d’un show qu’il a voulu inoubliable.
« Putain, quel parcours du combattant. Nous espérons tous que les concerts vont pouvoir recommencer partout grâce à vous. »
clôtura très ému Nicola Sirkis face à la foule qui n’en pouvait plus de bonheur d’être là et il ajouta « Soyez fiers de vous ! ».
Helena Mora
Photos @credit Anthony Ghenassia pour Indochine avec l’aimable autorisation de PRODISS © Jean-Louis Carli / Aléa / PRODISS
© Stéphane Allaman / Aléa / PRODISS