Dans un studio illuminé de milles petites lumières qui ressemblaient à des étoiles épinglées sur le rideau sombre de la nuit, Nicola Sirkis, juché sur un haut tabouret telle une colombe sur une branche, un casque sur les oreilles, les lèvres fines collées au micro, tout de noir vêtu, demandait à la lune.
Pierrot lunaire au regard si triste, ses cheveux de petit prince en bataille lui tombant sur les yeux comme depuis toujours, une barbe à la Bob Morane qui lui donnait vraiment l’air d’un aventurier un peu plus mature, les yeux parfois plantés au plafond comme s’il cherchait à savoir si son chant mélancolique avait atteint les cieux. Nicola a ainsi livré pour les 25 ans de RTL 2 une session acoustique époustouflante magnifiquement filmée par le photographe Stéphane Ridard.
A quelques pas de lui Boris Jardel et Olivier de Sat étaient suffisants pour donner à cette version intemporelle tout son sens.
Le visage fatigué qui laissait apparaître quelques rides creusées au bord des yeux comme des petites rivières qui désormais allaient sillonner son visage il s’est lancé dans un vocalisme d’ange. Jamais il n’avait à mon avis aussi bien chanté.
Cette chanson maintes fois chantée, usée jusqu’à la corde m’apparut cette fois-ci sous un autre jour.
Profonde,dévêtue de tout artifice cette supplique à la lune avait quelque chose de divin.
On sentait que Nicola était plongé dans toute son émotion. Le regard ne ment jamais. Il est paraît-il le miroir de l’âme. La sienne cette nuit-là était à feu et à sang et, s’il a fermé les yeux pendant toute la durée de la chanson, lorsqu’il les rouvrait c’était pour les porter vers le ciel, comme s’il cherchait quelqu’un ou tout simplement une réponse à cette attente du bonheur qu’ici bas tout être humain espère parfois longtemps et parfois ne trouve jamais.
La mélancolie de ce titre qui a été il faut le dire celui de sa renaissance musicale et surtout médiatique lui ouvrant bien d’autres chemins, on l’a reçue comme un cadeau en ces veilles de fêtes.
Devant moi donc sur mon écran de télévision, soudain se tenait Pierrot lunaire, comme le Pierrot créé par le poète belge Albert Giraud (1884) et mis en musique bien plus tard par Arnold Schönber et dont la première représentation s’est tenue le 16 octobre 1912 dans la Salle Choralion à Berlin. Nicola a cette douce mélancolie. Comme lui aussi il parle dans ses chanson de désirs, de souffrance, d’extase, de fantasmes amoureux et religieux d’un univers bien à lui, très spirituel. Et comme Pierrot il doute de lui même et il est hanté par la nostalgie d’un passé glorieux mais douloureux.
Poète dans l’âme comme lui, ridiculisé parfois, comme Pierrot il parle à la lune.
Est-ce le sang d’un poète comme l’a si bien filmé Jean Cocteau qui les transforme en Pierrots tristes , l’élève et le maître, puisque David Bowie en son temps a aussi adopté le costume de Pierrot ? Je ne pourrais le dire. Personnages de la comedia del arte, chanteurs, nouveaux troubadours, acteurs,ils sont tous des saltimbanques, l’âme écorchée à vif noyant leurs émotions derrière le rideau de leur pudeur. Leurs mots parfois écrits par d’autres mais aussi leurs maux non dits que nous pouvons surprendre dans leurs regards. Car nous sommes des voleurs d’émotions, nous qui venons les applaudir, les entendre les porter aux nues. Nous sommes leur piédestal mais aussi leur précipice et nous sommes égoïstes de l’amour que nous leur portons.
Pensons-nous simplement parfois à l homme qui se cache derrière le masque du clown triste ?
Bien sûr dans un concert, malgré la foule, l’hystérie collective, l’adrénaline qui se dégage de la scène l’émotion est certes là. Mais dans le huit clos d’un studio d’enregistrement elle est bien plus palpable. Elle danse comme une flamme folle dans ses yeux et il aura beau les fermer pour chanter, cette émotion, cette souffrance muette s’insurge malicieuse par tous les pores de notre peau et alors le miracle se produit : une communion parfaite de nos âmes à travers un simple écran de télévision.
Pierrot lunaire, Nicola Sirkis : il lui manquait juste ce dernier titre de gloire.
Helena Mora
crédit photo couverture :Stephane Ridard
A paraître dans Nico vivre encore plus fort tome 2